Le réel ne débat pas, il tranche
Il y a des discussions que l'on ne peut pas avoir. Non pas qu’elles soient interdites, mais parce qu’elles sont faussées d’avance.
J’en ai eu plusieurs récemment, avec des personnes visiblement sincères.
Il ne s’agissait pas de débattre. Il s’agissait de défendre un dogme, une posture, une moralité préfabriquée, à laquelle il fallait se conformer ou être disqualifié. Ces échanges n’en étaient pas. Ce n’étaient que des chocs d’imaginaires opposés, sans possibilité de rencontre. À chaque fois, j’ai senti que quelque chose ne tenait pas : que le langage n’avait plus d’ancrage, que la pensée tournait en boucle, que les affects masquaient l’imposture.
Et c’est là que s’impose une vérité dure, mais limpide : le réel ne débat pas. Il tranche.
Il n’a pas besoin de convaincre. Il n’a pas besoin de consensus. Il ne s’arrange pas avec les sensibilités. Il impose une coupe. Non par cruauté, mais par structure. Il écarte ce qui ne tient pas. Il laisse tomber ce qui flotte. Il n’a pas de compte à rendre.
On comprend cela tard, souvent. Enfant, on croit que la vie va se dérouler comme un récit, qu’il y aura des règles, des échanges, des corrections. Mais adulte, on découvre que le réel ne nous est pas donné. Il se gagne. Et parfois de haute lutte.
Il faut du travail pour l’approcher. Un travail intérieur, silencieux, exigeant. Il faut démêler ce que l’on croit du monde et ce que l’on y projette. Il faut reconnaître ses angles morts. Il faut parfois désapprendre pour voir. Et ça, la plupart des gens ne le veulent pas.
C’est cela qui m’a frappé ces derniers temps : ce décalage constant entre ceux qui cherchent la netteté, et ceux qui s’accrochent à la fabrique du flou. Il ne s’agit pas de savoir qui a raison, mais de savoir qui est prêt à tout perdre pour voir clair. Car voir, parfois, coûte. Mais ceux qui refusent de payer ce prix n’atteindront jamais le seuil.
Il ne s’agit pas ici d’être brutal, ni dominateur. Il ne s’agit pas de dire : j’ai raison. Il s’agit de dire : il y a quelque chose qui est. Et ce quelque chose ne se négocie pas.
Le réel, ce n’est pas ce que tout le monde vit. C’est ce que l’on gagne quand on ne triche plus.